mercredi 25 mars 2009

La première guerre du Pacifique (2)

Comme nous le verrons à la fin, la guerre du Pacifique est encore très présente dans les mémoires dans les pays belligèrants. On parle aux écoliers boliviens de "l'accès à la mer perdu" et la majeure partie de l'armée chilienne est stationné près de la frontière nord du pays.
Il est donc difficile, 130 ans après, de trouver une narration objective des évènements, c'est pourquoi j'ai repris les versions chiliennes et péruviennes du déroulement de la bataille de Tarapaca.

LA BATAILLE DE TARAPACA:

Les forces péruviennes décimées, sous les ordres du général Juan Buendia, se replièrent vers le port d'Arica. En chemin, elles s'arrêtèrent dans la ville de Tarapaca. Buendia envoya des messagers dans toutes les directions pour rassembler les fuyards. Morts de faim et de soif, ils accoururent à Tarapaca où ils trouvèrent des vivres, de l'eau et un minimum d'organisation. En quelques jours, plus de 2000 hommes s'étaient rassemblés et ils furent renforcés, le 26 novembre, par une colonne partie d'Iquique avec un convoi de vivres et de munitions. L'arrivée de ces renforts inattendus remonta le moral des soldats péruviens, les animant d'un désir de vengeance et de la volonté de vendre chèrement leurs vies.
Pour reconnaître la route vers Arica, Buendia envoya une colonne de 1500 hommes avec ordre de s'assurer que l'entrée de la vallée était libre. Le gros des troupes devait suivre, mais les soldats avaient encore impérativement besoin d'une nuit de repos. Dans l'obscurité, flanquant la colonne de reconnaissance, une avant-garde chilienne s’approcha à 4 kilomètres de Tarapaca.



Soldat et officier chiliens du 2e de ligne


Le haut commandement chilien, après la victoire de San Francisco, était convaincu que l'armée alliée était démoralisée et terrorisée. José Francisco Vergara avait demandé l'autorisation au général chilien d'avancer sur Tarapaca aux fins de reconnaître la route et d'estimer la force de l'ennemi.
C’était une expédition avec peu de moyens, plus destiné à la reconnaissance qu'au combat.

Vergara partit le 24 novembre à la tête d'une colonne composée de 270 hommes de la brigade Zapadores sous les ordres de Santa Cruz, de 27 artilleurs avec deux canons et de 115 grenadiers à cheval commandés par le capitaine Rodolfo Villagran.

Partie de Dibujo, l'expédition arriva ce même jour à Negreiro, campa sur place et envoya le capitaine Andrès Layseca, qui connaissait la région, à la recherche de renseignements. De retour à Negreiro, il annonça inquiet que pas loin de 4000 hommes étaient stationnés à Tarapaca.
Vergara, pas du tout effrayé par ces chiffres, poursuivi son avance, capturant en chemin des soldats ennemis qu'il interrogea sur l'effectif et l'état des troupes postées à Tarapaca. Il en conclut qu'il ne s'y trouvait que 2000 hommes démoralisés et déjà en déroute mais demanda à ce que la division Rios, qui venait d'Iquique soit rapidement envoyée sur les lieux.


Soldat péruvien


Vergara avait hésité à demander de l’aide.
Le général Escala, lui, préféra ne pas courir de risques et décida d'envoyer le 2e régiment de ligne, le régiment d'artillerie de marine, le bataillon Chacabuco, 30 chasseurs à cheval et une batterie d'artillerie, soit un total de 1900 hommes.
Sous le commandement de Luis Arteaga, ces troupes quittèrent Dibujo, d'où était parti Vergara, pour partir à sa recherche en direction d’Isluga. Les deux divisons se réunirent et le colonel Arteaga prit le commandement de l’armée. Les hommes avaient déjà passé plus d'une journée sans eau ni nourriture et ne tenaient pas à faire demi-tour, il ne restait plus qu'à atteindre Tarapaca, seule oasis dans le désert où l'on trouverait de l'eau, des vivres en abondance et du fourrage pour les bêtes.
Le plan d'attaque fut basé sur des informations erronées. L'effectif des deux divisions chiliennes était de 2281 hommes, soit moitié moins que l'ennemi, et il fut décidé de procéder à une attaque à partir de trois directions.

Le commandant Ricardo Santa Cruz avec les Zapadores, la 4e compagnie du 2e de ligne, les grenadiers à cheval et les canons Krupp (548 hommes) devait marcher sur Quillaguasa au nord de Tarapaca pour couper toute voie de retraite à l'ennemi. Le colonel Arteaga devait attaquer Tarapaca au centre et le commandant Eleuterio Ramirez avec 7 compagnies du 2e de ligne, un piquet de chasseurs à cheval et l'artillerie de montagne devait arriver par San Lorenzo et Huaracina, au sud pour engager l'ennemi.
La colonne du commandant Santa Cruz se perdit en chemin et prit la direction opposée au plan d'attaque. Comme la brume se dispersait, Santa Cruz s'aperçut de son erreur et choisit de continuer à suivre le plan en faisant demi-tour vers Taparaca. Mais il s’était aperçu de son erreur trop tard et fut repéré par les alliés. A huit heures du matin, les chiliens affrontèrent les bataillons Zepita, Dos de Mayo, Lima et Ayacucho sous les ordres de Caceres et Bedoya qui les battirent rapidement.

Le peu de chiliens qui restait, se mit à retraiter en désordre, mais, alors que les péruviens de Caceres s’apprêtaient à porter coup final, les forces d'Arteaga vinrent à leur secours, rétablissant l'équilibre. Les grenadiers à cheval chiliens entrèrent aussi en action en chargeant les lignes ennemies et obligèrent les forces péruviennes à se replier.


A ce moment, le lieutenant colonel Eleuterio Ramirez dit au lieutenant colonel Vivar "Nous les envoyons à l'abattoir" car il pensait que c'était une bataille perdue. Les preuves de la supériorité numérique ennemie étaient irréfutables mais les chefs chiliens avaient sous-estimé la taille de l’armée ennemie. Arrivés à Huaracina, les chiliens furent soudainement pris sous le feu des hommes de Bolognesi. Le choc fut énorme, et les attaquants furent repoussés.

Les 2e et 3e compagnies prirent Portezuelo et Cerro Gordo et appuyèrent l'entrée des 1ere et 4e compagnies dans Tarapaca. Elles boutèrent les péruviens hors du village tandis que dans la vallée les autres soldats péruviens résistaient bravement aux chiliens. Il n'y avait qu'une solution pour emporter la décision: envoyer une charge de cavalerie. Les cavaliers se rassemblèrent et lancèrent une charge sur les forces péruviennes qui, prises par surprise, eurent beaucoup de pertes, ce qui donna le temps à l'infanterie chilienne de se réorganiser et de se lancer à l'attaque à son tour. La bataille, qui à un moment semblait perdue, se transforma en triomphe. Puis les troupes se mirent à retraiter. Les chiliens étaient maîtres de Tarapaca et se précipitèrent sur l'eau et la nourriture, sans même laisser des sentinelles, confiant qu'ils étaient en leur victoire. Ils pensaient que ce qui s'était passé à San Francisco quelques jours auparavant venait de se répéter.



Pendant ce temps, à proximité de Tarapaca, les chefs péruviens, réunis en conseil de guerre, décidaient de lancer une attaque surprise sur les chiliens avec les divisions venant de Pachica. Ils se rassemblèrent à Quillahuasa et préparèrent leur plan de bataille.
Le colonel Herrera avança par la vallée, Davila par Quillahuasa et Caceres et Bolognesi attaquèrent par Huaracina. A seize heures, les troupes de Davila et Herrera ouvrirent le feu sur les nombreux soldats chiliens surpris qui se reposaient après avoir mangé et bu.

Eleuterio Ramirez monta par la côte de la Visagra avec ses hommes. Le colonel Vidaurre, avec une poignée d'homme s'avança sur Huarasina. Les troupes chiliennes étaient en train de se réorganiser mais la violence de l'attaque péruvienne ne leur en laissa pas le temps.
Devant cette situation, Arteaga ordonna la retraite. Le colonel péruvien Herrera fut attaqué par le 2e régiment de ligne tandis que Ramirez se dirigeait vers les pentes de Visagra.

Telesforo Barahoma, le porte-drapeau du 2e de ligne, tomba sans lâcher son étendard, protégé par les autres soldats, les mêmes qui mourraient un à un, jusqu'à ce que le drapeau abandonné fut pris par Mariano Santos, un vaillant soldat du bataillon Guardias de Arequipa.




Le commandant chilien Ramirez, blessé pour le deuxième fois, fut secouru par ses hommes et transporté dans un petit ranch éloigné. Les corps des soldats chiliens du 2e de ligne jonchaient le sol. Andres Caceres vit mourir son frère dans ses bras tandis que Belisario Suarez apprenait la mort du sien.
Ramirez fut lâchement assassiné par le lieutenant Rodriguez du bataillon Zepita qui ordonna d'incendier le ranch rempli de blessés où il avait été déposé.
Seule une poignée de soldats du 2e de ligne, sous les ordres du lieutenant Abraham Valenzuela continuaient à combattre. Ils furent encerclés par le bataillon Dos de mayo du commandant Daniel Moran et deux compagnies des bataillons Zepita et Iquique. La plupart des défenseurs connurent la même fin que leurs compagnons blessés et périrent dans les flammes.

Arteaga et ceux qui avaient survécu battirent en retraite, toujours attaqués par les troupes péruviennes de Davila. Le general Buendia ne souhaita pas porter le coup de grâce aux chiliens et ordonna de retourner à Tarapaca pour partir ensuite sur Arica. Les alliés avaient gagné la bataille pour abandonner Tarapaca.
Soldat chilien du début du conflit



VERSION PERUVIENNE


Après avoir appris la position exacte de l’ennemi, les chiliens décidèrent d'envoyer un corps expéditionnaire fort de 3500 hommes, composée de six bataillons d'infanterie, deux batteries d'artillerie - une de canon Krupps et l'autre de canon Armstrong -, et un escadron de 150 cavaliers, pour l'anéantir.

A l'aube du 27 novembre 1879, les forces chiliennes arrivèrent à destination et prirent position dans les collines à l'ouest de Tarapaca. Le colonel Andres Caceres, commandant de la 2e division de l'armée péruvienne, apprit la présence de l'ennemi et, sans hésitation, donna l'ordre à ses hommes de sortir de la ville et de charger les troupes chiliennes.

Cacares divisa immédiatement ses troupes en trois colonnes. Les 1ere et 2e compagnies de son légendaire régiment, le régiment Zepita, fortes de 639 officiers et soldats furent placées sur la droite sous les ordres du commandant Zubiaga. Les 5e et 6e compagnies, sous les ordres du major Pardo Figueroa se placèrent au centre tandis que les 3e et 4e compagnies commandées par le major Arguedas étaient à gauche. Au même moment, Caceres envoyait un message au colonel Manuel Suarez, du régiment Dos de Mayo lui demandant de lancer une attaque sur la gauche.



Le régiment Zepita se lança férocement à l'attaque des positions chiliennes tandis que les autres régiments péruviens sous les ordres des colonels Bolognesi, Rios et Castanon avançaient vers l'ennemi. Le régiment Zepita grimpa la partie ouest des collines sous le feu des canons et des fusils chiliens. Les tirs étaient intenses, mais les péruviens, se déplaçant en tirailleurs, continuèrent à escalader. La colonne du commandant Zubiaga fut la première à atteindre son objectif et, après une charge à la baïonnette, parvint contre toute attente à capturer 4 canons ennemis. Pendant ce temps, les colonnes des majors Pardo Figueroa et Arguedas causèrent des pertes terribles à l'infanterie chilienne. Après une courageuse charge, les chiliens paniquèrent et se retirèrent en désordre 3 miles plus bas. Les péruviens avaient obtenu un succès limité mais avaient subi de lourdes pertes. Parmi les victimes se trouvaient les commandants Zubiaga et Figueroa, le colonel Suarez et le frère du colonel Caceres, Juan.

Andres Caceres lui-même avait été blessé mais il décida de continuer le combat contre les nouvelles positions chiliennes tenues par le colonel Arteaga. Sa division fut renforcée par le bataillon Iquique et les colonnes Navales et Loa ainsi que par une compagnie du bataillon Ayacucho et une compagnie de gendarmes. Ces forces provenaient des deux divisions péruviennes, fortes de 1300 hommes, qui se trouvaient à 20 miles au sud de Tarapaca lorsque la bataille avait commencé.

Avec ces renforts, Caceres lança une nouvelle attaque au sud-est de Tarapaca, contactant et dispersant l'ennemi à cinq reprises. Les chiliens se regroupèrent mais Caceres les déborda sur le flanc gauche, les forçant à se retirer vers le sud. Dans une dernière tentative désespérée, un détachement de grenadiers chiliens lança une contre-attaque qui fut stoppé par les hommes des colonnes Loa et Navales. Caceres attaqua une dernière fois le centre de l'armée chilienne, la détruisant complètement. Les survivants abandonnèrent leurs derniers canons, leurs armes et leurs munitions et s'enfuirent en désordre.

Après neuf heures de combats intensifs, les péruviens étaient parvenus à une victoire complète. La colonne chilienne avait perdu 800 hommes, tous ses canons et son armement et laissait 67 prisonniers entre les mains des péruviens. Caceres, n'ayant pas de cavalerie, ne pu poursuivre les chiliens au delà de la colline de Minta. Cette victoire remonta le moral des troupes péruviennes mais, au final, n'influa pas le cours de la guerre.

7 commentaires:

tsar1701 a dit…

génial !
et avec planche uniformologique en plus.

J'adore les conflits pas trop connus.

Le risque c'est que je vais essayer de reproduire ça sur une table ;-)

Siaba a dit…

C'est rien, ça. Les vrais planches uniformologiques viendront trés bientôt.....ainsi que des photos de figurines de joueurs.
Il n'existe pas de figurines mais jusqu'au 15mm on peut recycler des nordistes ou des français de 1870. En 25mm, il y a déjà plus de travail à faire pour reproduire les équipements (gourdes et cartouchières) assez particuliers des belligérants.

Pascal Saradjian a dit…

Quelle est la règle la plus appropriée pour ce type de conflits ?

Siaba a dit…

Je dirais une règle généraliste pour la fin du XIX° siècle comme PRINCIPLES OF WAR, PIQUET ou FIELD OF HONOR.
Les batailles ne sont pas énormes, il y a rarement plus de deux divisions dans chaque camp et les bataillons ont des effectifs assez faible.

Il y a eu aussi une période de guérilla à la fin du conflit. Pour ça, une règle comme LEGENDS OF THE OLD WEST, par exemple, serait appropriée.

Anonyme a dit…

Si l'objectif des deux articles est de donner envie de jouer la guerre du salpêtre, il est atteint! En revanche, il ne s'agit pas pour moi d'un conflit inconnu. J'ai même vu le film dont plusieurs photos servent comme illustrations mais plus moyen de me souvenir du titre. Je suis donc preneur du titre pour pouvoir l'acquérir s'il existe en DVD.

Siaba a dit…

"Los heroes olvidades" ?
Je suis inscrit sur le groupe de discussion consacré au sujet et de nombreux extraits d'un documentaire avec des reconstitution étaient disponibles fin 2007 sur Youtube mais je ne sais pas si c'est ce titre.....et si c'est facilement trouvable en DvD.
Un livre sur les uniformes doit sortir en anglais au mois d'août.

Merci à tous pour votre intérêt en tout cas, ça fait plaisir. Je me sens moins seul dans ma passion pour les-guerres-que-personne-connait :o)))))))

Kem a dit…

Tu es loin d'être le seul à t'intéresser aux guerres et batailles-dont-nul-ne-parle.

C'est vrai que ça donne envie de jouer, en plus les effectifs n'étant pas trop conséquents ....